Les mots invisibles

Publié le par L'Oeil regardait cahin-caha

 

"Ecrire pour quoi faire?

Les mots en marche arrière…

Rembobinés.

Silence.

Reviendront-ils?

Ou sont-ils juste invisibles sur la page…

Indicibles.

Là où ils ne se sont pas posés, le papier gondole.

Des larmes peut-être.

Ou la pluie qui lessive les mirages."

 

Voilà où il en était, lui l‘écrivain. Il aurait préféré arrêter de penser mais ça, il n’avait jamais su faire. Il se demanda, au fond, au fin fond, aux tréfonds, ce qu’il était venu faire ici. S’il était venu chercher quelque chose. Ou si c’était le lieu qui le cherchait, qui le faisait voyager à l’intérieur de lui. Peut-être un peu les deux. Le chiffre deux le fit frémir bien plus que le fait de se perdre dans le labyrinthe d‘ici. Il faudrait pourtant bien qu’il re-panse son cœur et sa peau.  

Auprès des gens, qui se déversaient en nombre, il passa sans guère les voir. Sans le vouloir, il figurait sur un nombre incalculable de photos qui le ramèneraient aux quatre coins du monde même s’il n’en saurait jamais rien. Il sourit. Pas pour faire joli sur les clichés ni parce que soudainement tout allait mieux. Il sourit en se projetant sur le mur d’un Tokyoïte, dans un cadre tendance sur une commode new-yorkaise, sur le bureau du prof d’italien, punaisé sur le poster dans la chambre d’une jeune fille stanbouliote... Il sourit en réalisant que pas un ne le verrait vraiment alors; et que c’était très bien ainsi.

 

L’état fantomatique épousait son état d’esprit: il voulait le vide, se marier avec, et qu‘on en fasse une fête grandiose. Il rêvait d’une ville vide où il pourrait juste marcher, sauter sur le ciel qui tremblote dans les flaques, parcourir une place constellée de chaises vides, ne voir des ponts que la courbure, chercher des chats le long des sculptures alanguies, les chercher jusque dans les drapés des tableaux, prendre le bateau pour une île colorée. Repeindre enfin avec ses mots toutes les émotions en lui, appliquer son glacis littéraire sur les paysages, les rencontres, la vie qui se terre partout, le passé flamboyant, la lagune, les masques de commedia dell arte derrière lesquels on pouvait se réinventer. Renaître, qui sait?

 

Il rentra à son hôtel et demanda du papier à la réception puisque précipité et abattu au moment du départ, il n’en avait même pas emmené dans ses bagages. Il s’assit près d’une fenêtre qui, elle, avait l’esprit de contradiction et ne donnait que sur un mur de pierres. Le soleil était parti réchauffer un autre coin de la planète. Venise, enfin, commença à affluer sur la feuille. C’était comme s’il pouvait lui raconter, à elle qui était partie. Les mots coulaient, sortaient de leur lit. Il revenait à lui.

 

 

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